Wilfried de Conti, fondateur de l’agence conseil Sobery (ex-Besight), et Axel Denis, analyste RSE, publient, aux éditions Eyrolles, Alerte Greenwashing !, un ouvrage qui questionne la place de la communication dans le défi écologique et qui énonce 12 principes fondamentaux permettant de reconnaître les cas les plus répandus et les plus ingénieux du greenwashing.
Depuis début 2024, l’Europe encadre les allégations de neutralité carbone et impose aux entreprises d’apporter les preuves de toute allégation environnementale. Le greenwashing est inscrit dans la loi climat de 2022, et de plus en plus de communautés se développent pour dénoncer cette pratique. C’est dans ce contexte que Wilfried de Conti, cofondateur de la société Sobery (qui propose aux entreprises des supports utiles et bas carbone pour les projets de communication), et Axel Denis, analyste environnemental et responsable de mission chez Sobery, publient l’ouvrage Alerte Greenwashing ! aux éditions Eyrolles.
UN GUIDE PRATIQUE POUR COMMUNIQUER AUTREMENT
Ce livre questionne la place de la communication dans le défi écologique et positionne la lutte contre le greenwashing comme un facteur clé de succès. À partir du décryptage de messages publicitaires, les deux auteurs énoncent 12 principes fondamentaux qui permettent de reconnaître les cas les plus répandus et les plus ingénieux de greenwashing, et de comprendre pourquoi ces pratiques ne devraient plus exister.
Du greenwashing à l’action, l’ouvrage se veut donc être un guide pratique pour contrer les discours trompeurs et pour communiquer autrement. Les auteurs sèment ainsi les graines d’une lutte active contre ce phénomène qui ralentit la transformation écologique. Ils proposent également une feuille de route pour que les entreprises puissent communiquer de manière authentique et transparente, évitant ainsi les écueils du greenwashing.
Découvrez les bonnes feuilles du livre :
« Pourquoi a-t-on écrit ce guide ?
Le greenwashing, un grand incompris ?
Engagés dans la lutte contre le greenwashing depuis bientôt quatre ans, nous avons longuement réfléchi à un cadre qui permettrait à n’importe qui de bien comprendre cette pratique afin de mieux lutter contre. Le terme « greenwashing » semble explicite, mais lorsqu’on leur en demande une définition, les consommateurs ont tendance à faire l’amalgame entre publicité verte et greenwashing.
Dans leur article « Nuances de vert : Une analyse multidimensionnelle de la publicité environnementale » paru en 1995, Banerjee, Gulas et Iyer définissent la publicité verte comme remplissant un ou plusieurs des critères suivants :
- « Aborde explicitement ou implicitement la relation entre un produit/ service et l’environnement biophysique.
- Encourage un mode de vie écologique, avec ou sans mise en avant d’un produit/service.
- Présente une image d’entreprise responsable sur le plan environne »
Malgré cette définition précise, une étude menée par Benoit Cordelier et Pauline Breduillieard, chercheurs à la chaire de Relations publiques et Communication marketing de l’université du Québec à Montréal (UQAM), souligne la confusion qui peut s’opérer entre publicité verte et greenwashing :
« Ce mauvais usage des qualificatifs d’une publicité verte entraîne un non-respect des règles en vigueur et nous permet donc de les définir comme des cas d’écoblanchiment (ndlr : greenwashing). Cela engendre le doute auprès du public qui se fait de plus en plus critique face à ce genre de publicité. Mais cela crée également une sorte de généralisation de ce phénomène. Ainsi dès que l’on voit une publicité qui répond aux caractéristiques d’une publicité verte, on va souvent la cataloguer de greenwashing. »
Nous avons donc souhaité apporter une réponse à cette incompréhension qui persiste dans la tête des consommateurs.
Des moyens de lutte trop peu accessibles ?
Avez-vous connaissance des moyens de lutte contre le greenwashing ? Si oui, vous faites partie d’une minorité éclairée. En effet, le consommateur d’aujourd’hui est très critique face aux communications des entreprises, mais il ne sait pas forcément si son intuition sur le greenwashing d’une publicité est fondée.
Pourtant, des outils existent bel et bien. Pour preuve, le milieu publicitaire dispose d’une entité d’autorégulation spécifique : l’ARPP. Cette entité a notamment rédigé en septembre 1989 une recommandation « Développement durable » qui propose aux communicants un cadre pour construire une « publicité verte » dans les règles de l’art. En suivant ce cadre, les professionnels peuvent éviter le greenwashing, réduire les risques de plaintes et renforcer la crédibilité de leurs messages auprès des consommateurs. Cette recommandation harmonise les pratiques du secteur, favorisant une concurrence équitable, tout en servant d’outil d’autoévaluation pour améliorer les campagnes avant leur diffusion.
Néanmoins, les professionnels de la communication semblent avoir du mal à saisir pleinement les subtilités de cet outil dans leur pratique quotidienne. L’étude menée par Benoit Cordelier et Pauline Breduillieard apporte quelques éclairages à ce sujet. Ils ont analysé 50 décisions du Jury de déontologie publicitaire (JDP) émanant de l’ARPP en 2010. Parmi ces cas, 11 publicités (22 %) étaient concernées par des règles de développement durable. Sur ces 11 publicités :
- 9 (81 %) ont été jugées en infraction (totalement ou partiellement) ;
- 2 (18 %) respectaient la réglementation.
Comme les auteurs le mentionnent : « Il semble donc y avoir une mauvaise interprétation de la définition d’une publicité verte de la part des annonceurs et des publicitaires. »
Cette mauvaise interprétation n’est pas seulement présente du côté des entreprises qui communiquent. On la retrouve aussi chez le consommateur qui souhaite porter plainte pour non-respect de cette recommandation :
« […] l’analyse des rapports de décisions nous a montré que pour les publicités qualifiées de partiellement contrevenantes, les plaignants mettaient en avant des critiques qui n’avaient pas ou peu de lien avec la publicité incriminée. Ainsi, ils essayaient de montrer que la publicité contrevenait à d’autres règlements de l’ARPP même s’il n’en était rien. »
Si de bons outils existent mais que le greenwashing persiste, c’est que le problème doit venir d’ailleurs. Pourquoi le greenwashing reste-t-il encore largement incompris ? Une clé du problème est qu’il n’existe pas d’outil facilement utilisable qui permettrait à n’importe qui de lutter contre le greenwashing, que ce soit dans sa vie quotidienne ou dans son métier.
C’est l’objectif de ce guide : vous apporter les outils nécessaires à la compréhension, la reconnaissance et la lutte contre le greenwashing.
Qu’allez-vous y trouver ?
Pour faire le lien entre toutes les ressources qui existent (lois, ARPP, ADEME, associations, études, etc.), nous avons passé plus de trois ans à observer des publicités, étudier des plaintes, lire des guides antigreenwashing, pour en tirer des grands principes. Pour être plus exhaustifs, voici les éléments sur lesquels nous avons basé notre guide :
- Analyse des guides d’institutions publiques (ADEME, Conseil national de la consommation) ;
- Analyse des textes de lois (climat et résilience, directives européennes) ;
- Analyse des plaintes fondées ou infondées et du code de déontologie du JDP ;
- Analyse des attaques régulièrement menées sur les réseaux sociaux par des consommateurs ou des ONG envers les marques qui font du greenwashing ;
- Analyses d’experts (juridiques, institutionnels) et de
Le résultat, ce sont 12 principes pour comprendre, reconnaître et éviter le greenwashing. Chaque principe a été pensé pour être le plus clair possible, avec un énoncé concis, un exemple concret et une liste de bonnes et mauvaises pratiques. Vous pourrez ainsi facilement vous projeter dans l’application des règles générales qui existent depuis longtemps mais qui restent complexes.
Vers un monde sans greenwashing ?
Bienvenue dans la lutte contre le greenwashing !
Au terme de la lecture de ces 12 principes, plusieurs sentiments peuvent vous traverser. Nous espérons que celui qui vous restera sera le soulagement. En effet, la lutte contre le greenwashing peut se résumer à ces 12 principes. Des leviers de dénonciation existent, des solutions pour l’éviter également. À nos yeux, il s’agit d’un grand soulagement.
Vous faites maintenant partie de la lutte contre le greenwashing. Soit en tant que consommateur avisé, soit en tant que professionnel éclairé.
Projetons-nous maintenant dans la suite logique de ce guide : un monde où tous les principes seraient respectés.
La communication postgreenwashing : une communication juste
Dans un monde idéal, à quoi ressemblerait une communication qui respecte les 12 principes de ce guide ?
Aujourd’hui, les récits dominants sont ceux du manichéisme, du rêve et de l’exagération. Ils sont par nature difficilement compatibles avec la bonne application des 12 principes. En effet, comment déclarer qu’une crème pour le visage est révolutionnaire et « durable » quand on doit utiliser un argument précis, non globalisant, accompagné d’une étude d’impact comparative à laquelle on doit donner accès, qui doit également se concentrer sur la réduction des impacts négatifs tout en étant mis en perspective avec l’impact global de l’entreprise ?
C’est justement impossible et c’est la raison pour laquelle nous avons conçu ces 12 principes. Une fois respectés, ils ouvrent la voie à un nouveau type de communication, à de nouveaux récits. Voyons les caractéristiques clés de ces nouveaux récits : la transparence, l’authenticité, la convivialité, le ralentissement et la précision.
La transparence
Ce guide impose de la part des entreprises une forme de transparence radicale qui ne sera probablement pas confortable dans un premier temps.
Néanmoins, le consommateur du xxie siècle fait davantage de recherches. Il fouille, se renseigne sur les options à sa disposition. Il benchmark, consulte les avis… Face à ces nouvelles habitudes, les entreprises gagneront à partager un maximum d’informations sur leurs activités, leurs produits et, comme il s’agit du cœur du sujet de ce guide, sur leur impact environnemental.
La communication postgreenwashing sera donc une fenêtre ouverte sur l’entreprise.
L’authenticité
Lorsque les fenêtres sont ouvertes, une nouvelle posture s’impose de la part de l’entreprise qui communique. En effet, le contrôle sur ce qui est montré et caché n’est plus possible. Dès lors, les imperfections sont exposées au grand jour et les récits de conte de fées ne sont plus crédibles. Il en résulte une déviation naturelle vers un ton plus authentique. Une forme de vulnérabilité qui rassure les consommateurs et qui séduit même une population d’acheteurs qui attendent depuis des années des alternatives sérieuses dans leur quête d’achats responsables.
En témoigne le succès de la marque Veja qui a toujours employé ce ton et cette posture authentique. Le consommateur est capable de comprendre qu’un produit n’est pas parfait, mais qu’il est fait dans les meilleures conditions.
La convivialité
La publicité d’aujourd’hui a pour mission de faire rêver. Son job est de nous transporter, nous donner matière à nous identifier à des idéaux. Elle force le trait sur les préjugés pour capter rapidement l’attention et faire passer un message. Néanmoins, cette atmosphère fait régner une défiance dans l’esprit du consommateur qui a depuis longtemps pris l’habitude qu’on lui vende monts et merveilles alors que la réalité est bien plus banale.
À l’inverse, l’application des principes de ce guide impose aux entreprises de questionner leur rapport au rêve et de proposer des communications plus équilibrées, où l’échange est plus naturel. En somme, inviter le consommateur dans le réel plutôt que de lui vendre un idéal irréel… La publicité de Jules, présentée au principe de transparence, en est un excellent exemple.
Le ralentissement
Être transparent impose d’être authentique. Être convivial impose de ralentir. La convivialité ne s’installe pas en un spot publicitaire de 15 secondes. Il faut repenser le rapport au temps, à la disponibilité des cerveaux et donc à l’attention des consommateurs.
Nous anticipons une baisse du nombre de publicités et de communication établies par les entreprises. C’est en soi une bonne chose car nos cerveaux de consommateurs sont saturés des messages publicitaires.
La précision
Dernière facette de cette nouvelle communication postgreenwashing : la précision. En effet, force est de constater que le sujet de l’impact environnemental d’un produit ou d’un service est complexe. Il existe 16 impacts environnementaux reconnus dans la méthodologie européenne. En plus, leur pondération n’est pas la même… Être capable de synthétiser toute cette matière grise demandera de bien réfléchir aux mots employés afin qu’ils décrivent bel et bien l’argument qui est mis en avant par l’entreprise qui communique.
Derrière cette exigence de précision se dissimule une problématique plus large : on a souvent tendance à sous-estimer l’intelligence du consommateur. À force de simplifications excessives, l’essence même de l’argument se perd, conduisant à la diffusion de messages sans contenu réel. Ainsi, le consommateur en vient fréquemment à percevoir ces efforts de communication comme de la « poudre aux yeux ». Il n’est pas rare d’entendre l’expression « ce n’est que de la communication » pour refléter cette perception.
La caricature du publicitaire avait d’ailleurs été jouée par Les Inconnus dans « Le nouveau spectacle » au Casino de Paris en 1993, en particulier dans le sketch « les publicitaires ». On pouvait entendre : « Il ne faut jamais oublier l’éthique de la maison, les enfants : il ne faut pas prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont. »
Alerte Greenwashing ! 12 principes pour reconnaître le greenwashing et mieux communiquer
Éditions Eyrolles
184 pages – 21 €
En libraires depuis le 9 janvier 2025