Depuis le 31 janvier 2020, minuit, le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne. Quelles sont les conséquences à court terme sur les échanges commerciaux franco-britanniques et à quelle issue doivent se préparer les entreprises de notre secteur ? C!Mag a posé la question à Catherine Mathieu, économiste au sein du département Analyse et Prévision de l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques).
Note de la rédaction : Interview réalisée le 6 mars.
Qu’est-ce qui a changé pour les entreprises britanniques qui exportent leurs produits vers la France depuis le 31 janvier dernier ?
Catherine Mathieu (OFCE) : Nous sommes entrés dans une période de transition, pendant laquelle rien ne change pour les échanges commerciaux. Pas de nouveau formulaire à remplir, pas de droits de douane, pas de quotas… Mais, et c’est tout l’objet des négociations en cours, les choses pourraient changer selon l’accord qui va être conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) pour la suite, après le 31 décembre 2020.
Cette période de transition pourrait-elle être prolongée ?
Il est prévu, dans les modalités du Brexit, qu’elle puisse être prolongée une fois, d’un ou deux ans. Cette décision doit être prise au plus tard en juillet. L’UE affirme depuis de nombreux mois qu’il va falloir prolonger cette période de transition, parce qu’on n’aura pas le temps de traiter tous les dossiers avant la fin de l’année… Mais, de son côté, le gouvernement britannique annonce qu’il ne demandera pas de report et sortira de toute façon le 31 décembre.
Quel type d’accord de libre-échange souhaitent les deux parties ?
Le Royaume-Uni veut continuer à exporter et importer des marchandises dans l’UE comme aujourd’hui, c’est-à-dire librement, sans droits de douane ni quotas, mais aussi avoir la possibilité de conclure des accords de libre-échange avec d’autres pays, les États-Unis notamment. L’UE, quant à elle, attend du gouvernement britannique qu’il s’engage à maintenir un certain nombre de réglementations, de normes… C’est sur cet aspect que les discussions sont attendues, car Boris Johnson ne veut rien promettre et certainement pas rester aligné sur toutes les règles de l’UE. Le risque serait que le Royaume-Uni déréglemente : est-ce que les normes sociales et environnementales resteront au niveau que nous connaissons aujourd’hui ? Si le gouvernement britannique ne s’engage pas sur ce point, l’UE pourrait décider de contrôler les marchandises à la frontière.
Que se passerait-il si le Royaume-Uni sortait sans accord ?
En l’absence d’accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et la France ou tout autre pays de l’UE, les droits de douane de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’appliqueraient en principe pour les importations. Or, ils diffèrent énormément selon le type de produits : ils peuvent être de moins de 1 % pour le bois et le papier, par exemple, et atteindre près de 45 % pour les produits laitiers !
Le Royaume-Uni compte un certain nombre de fournisseurs de textile promotionnel : quels impacts cela aurait-il sur leur business avec les revendeurs français ?
Pour les vêtements, les droits de douane de l’OMC sont d’environ 11 %. De mon point de vue, c’est un taux qui pourrait quand même s’amortir de plusieurs façons. Si le Royaume-Uni sortait sans accord, on s’attendrait dans un premier temps à une baisse de la Livre sterling, qui pourrait compenser entièrement cette hausse des droits de douane. Selon l’ampleur de la baisse du taux de change, les entreprises pourraient être amenées à réduire leurs marges, mais cela serait sans doute gérable.
Doit-on craindre un ralentissement des livraisons ?
Si des droits de douanes sont rétablis, le temps de passage aux frontières, au tunnel sous la Manche notamment, pourrait être rallongé à court terme, le temps que les échanges se fluidifient. Pas de quoi s’affoler pour autant : sur l’aspect administratif, les entreprises britanniques sont prêtes. De plus, du côté de Calais et de Douvres, on a construit ces derniers mois des parkings et on a recruté des douaniers pour être prêt à gérer la situation. Les ports en Belgique et aux Pays-Bas développent également leurs capacités, pour pouvoir accueillir davantage de bateaux transitant depuis ou vers le Royaume-Uni. Mais, là encore, on se place dans le scénario noir d’une sortie sans accord de libre-échange.
Ce scénario est-il néanmoins plausible ?
Ce que l’on sait, c’est que personne ne souhaite cette issue, c’est vraiment la ligne rouge ! Sur le plan économique, chacun est conscient de la nécessité d’avancer sur cet accord et de prendre des décisions, parce qu’en attendant les entreprises sont dans une période d’incertitude. Les négociations ne font que commencer et sont prévues pour durer au moins jusqu’en juin (voir note en introduction de l’article). En attendant, chaque partie se place évidemment en mettant la barre haute, avec ses propres objectifs. Comment tout cela va-t-il s’aligner ? Il est encore trop tôt pour le dire…